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Commentaire
L’imposition minimale de l’OCDE en passe d’être reportée ?
21.12.2023, Finances et fiscalité
Si le Conseil fédéral reporte l'introduction de l'imposition minimale, il démontre qu’il est à la botte du lobby des multinationales. Ce serait un scandale pour la démocratie. Mais sur le plan de la politique fiscale, l'imposition minimale reste quoi qu’il en soit un échec.
Vendredi, le Conseil fédéral décidera selon toute vraisemblance s'il introduira l'imposition minimale de l'OCDE au début de l'année ou s'il la reportera. S'il opte pour un ajournement, ce serait une capitulation devant le lobby des multinationales autour d'economiesuisse et de Swiss Holdings, qui l'exige depuis quelques semaines à l’appui d’arguments fallacieux. Les majorités bourgeoises dans les commissions de l'économie et des redevances (CER) ont déjà répondu aux pressions des associations de multinationales : après que la CER-E a écrit au Conseil fédéral début novembre pour lui demander d’envisager un report de l’introduction, sa commission sœur du Conseil national lui a emboîté le pas quelques semaines plus tard.
Dans la perspective de la politique de développement, un report ne serait pas problématique : il permettrait notamment aux pays de production des multinationales suisses dans le Sud global de générer, du moins temporairement, des recettes fiscales supplémentaires à partir des bénéfices des grands groupes, bénéfices qui sont certes réalisés dans le Sud global, mais qui seraient prélevés par la Suisse en cas d'introduction de l'imposition minimale chez nous.
Sous l’angle de la démocratie, un report par le Conseil fédéral serait toutefois un scandale : lors de la campagne de votation sur l'imposition minimale en juin, la ministre des finances Karin Keller-Sutter et le lobby des multinationales avaient vigoureusement pressé, dans l'harmonie usuelle des dossiers de politique économique, pour une introduction aussi rapide que possible. Ils ont affirmé qu'en cas de refus de l'imposition minimale, des pertes considérables de recettes fiscales risquaient de se produire dès 2024 et que les grands groupes suisses seraient confrontés à de gros problèmes au plan international. Selon l’analyse de la votation faite par Vox, c'est surtout le premier point qui a été décisif pour de nombreux votants favorables. Il s'agissait des principaux arguments contre le « non, mais » du PS, des syndicats et d'Alliance Sud. Tous optaient pour le « non », afin que le Conseil fédéral et le Parlement puissent ensuite ficeler un nouveau projet mieux adapté, qui répartisse plus équitablement les recettes supplémentaires issues de l'imposition minimale tant en Suisse qu'à l'étranger. Les partisans de l’introduction ont sapé cette demande en invoquant l'argument vide de sens de l'urgence.
Aujourd'hui, ils ne veulent soudainement plus en entendre parler au prétexte que la situation internationale a énormément changé depuis juin. Mais cette affirmation ne résiste pas aux faits : dès le début de l'été, il était clair que des pays majeurs comme les États-Unis ou la Chine n'introduiraient pas la nouvelle imposition dans un premier temps et affaibliraient ainsi grandement l'ensemble du nouveau système. Le Conseil fédéral et le lobby des multinationales ont tenté de le cacher et ont induit les citoyennes et les citoyens en erreur, au détriment de la grande majorité des personnes en Suisse et des pays où les multinationales suisses produisent des biens. Ils ont été privés de la perspective d'un projet mieux ficelé. Si le Conseil fédéral répond aux souhaits du lobby des multinationales, il montre clairement que ce qui compte pour lui, ce n'est pas la perspective de recettes supplémentaires pour le fisc suisse, mais bel et bien les intérêts des multinationales et de leurs actionnaires.
Mais les faiblesses fondamentales du nouveau système de l'OCDE demeurent quoi qu’il en soit : une grande partie des pays, surtout ceux du Sud mondial, n'en profiteront de toute façon pas et partout ailleurs, de nombreuses lacunes et exceptions torpillent l'efficacité de l'imposition minimale. Après des années de négociations, il s'avère que l'OCDE a échoué dans sa propre ambition de rendre le système mondial d'imposition des grands groupes un peu plus équitable. Les espoirs de beaucoup reposent désormais sur l’ONU.