Climat et fiscalité

Le tour du monde d’un duo

04.10.2024, Justice climatique, Finances et fiscalité

Sans le principe du pollueur-payeur, la politique climatique internationale ne peut pas être financée et sans la justice fiscale, elle ne peut pas être menée. Petit tour du monde d’un duo improbable, mais peut-être bientôt symbiotique.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Le tour du monde d’un duo

De plus en plus d'activistes et de plateformes multilatérales associent les revendications de justice fiscale et climatique. Manifestants lors du rassemblement Fridays for Future à Berlin, 20 septembre 2024.
© Keystone / EPA / Clemens Bilan

Cela tombe sous le sens : pour que nous puissions nous permettre d’abandonner les énergies fossiles sans grands bouleversements sociaux, nous devons aller chercher l'argent nécessaire dans la branche qui est la première à faire florès grâce à elles, à savoir l'industrie des combustibles fossiles. Selon des études, depuis 1988, plus de la moitié de toutes les émissions mondiales sont dues à l'extraction d'énergies fossiles par seulement 25 multinationales. Les coûts que ces émissions engendrent à long terme en changeant le climat n'ont jamais été réglés. Dans le même temps, les bénéfices et les dividendes de ceux qui ont fait commerce de ces combustibles n'ont cessé de gonfler. Grâce à la hausse des prix provoquée par l'invasion russe en Ukraine, les bénéfices des compagnies pétrolières et gazières ont atteint le chiffre astronomique de 4000 milliards de dollars en 2022.

Que les pollueurs passent à la caisse

Dans le contexte du financement climatique dont le Sud global a un urgent besoin et au nom de l’équité face aux pollueurs, il n'est donc pas étonnant que la revendication d'une taxation supplémentaire de ces compagnies soit toujours plus forte. La société civile internationale s'est depuis longtemps emparée de cet objectif avec le slogan « make polluters pay ». Une étude récente de la fondation Heinrich Böll montre qu'avec une taxe CO2 sur l'extraction du charbon, du pétrole et du gaz, appelée taxe sur les dommages climatiques, 900 milliards de dollars seraient disponibles dans les pays de l'OCDE cette décennie déjà en vue de lutter contre la crise climatique.

La revendication de taxes internationales sur le CO2 est presque aussi ancienne que la convention-cadre sur les changements climatiques. En 2006 déjà, Moritz Leuenberger, le président de la Confédération de l'époque, avait réclamé une taxe mondiale sur le CO2 lors de la conférence sur le climat. Mais un accord concret est toujours resté lettre morte au niveau de l'ONU. En vue des négociations de l'ONU pour un nouvel objectif de financement climatique lors de la COP29 en novembre prochain à Bakou, la pression pour augmenter les moyens financiers disponibles s’intensifie. C'est pourquoi divers acteurs et pays ont récemment réclamé des taxes internationales sur le CO2 ou d'autres moyens de financement selon le principe du pollueur-payeur (voir graphique). Les approches sont très diverses et vont d'une imposition nationale des bénéfices issus de l'extraction du pétrole à la revendication juridique de la responsabilité climatique des entreprises, en passant par des contributions volontaires de l'industrie d'extraction. Mais toutes les démarches visant à instaurer des taxes internationales impliquent une volonté politique au niveau national. La Suisse devrait, elle aussi, prélever des taxes respectueuses du principe de causalité auprès des entreprises qui profitent du commerce des énergies fossiles, et accroître ainsi ses contributions au financement international dans le domaine du climat.

Les « gilets jaunes » ou ce qu’il ne faut pas faire

Il serait possible de mobiliser des moyens supplémentaires pour la transformation écologique de nos sociétés non seulement en taxant davantage les producteurs de combustibles fossiles, mais aussi en incitant les Etats à faire payer davantage les consommateurs. Si l’on veut toutefois que cette transformation soit non seulement écologique, mais aussi sociale, la prudence est de mise dans le choix du type de taxe le plus approprié sur la consommation de CO2. En France par exemple, le souvenir des violents combats de rue entre les « gilets jaunes » et la police, voilà bientôt six ans en plein Paris, fait froid dans le dos. Ces manifestations avaient été déclenchées suite à la hausse de la taxe sur les carburants (écotaxe) que le président français entendait prélever sur chaque litre de diesel distribué à la pompe. Selon ses calculs, cette taxe aurait rapporté 15 milliards d'euros de recettes supplémentaires à l'Etat. Mais elle aurait fait payer les riches et les pauvres de la même manière : tant les gens qui ne pilotent que pour le plaisir leur Porsche TDI sur les routes de campagne françaises désertes que ceux qui, hors des métropoles, dépendent au quotidien de leur voiture diesel déglinguée dans une France étendue et mal desservie par les transports publics. Ainsi, le mouvement des « gilets jaunes » n'a pas seulement été porté par des négationnistes climatiques et des fans de voitures, mais aussi par des gens pour qui la taxe sur le diesel aurait fait exploser leur budget mensuel déjà serré. Ce mélange toxique a donné au mouvement une grande force politique. Le gouvernement libéral français a fait machine arrière et freiné le rythme de son programme de politique climatique. En parallèle, le président Macron a renoncé à remettre en vigueur un impôt de solidarité sur les grandes fortunes, qui avait déjà été introduit dans les années 1980 par le président socialiste de longue date François Mitterrand, mais que Macron avait considérablement atténué dans l’un des premiers actes de sa présidence. L’impôt aurait peut-être coupé l'herbe sous le pied des « gilets jaunes » en matière de politique sociale.

 

La justice climatique et la justice fiscale en tour du monde : aperçu de quelques approches et initiatives.
(Cliquer sur la carte pour l'agrandir) © Bodara / Alliance Sud

 

Des réformes fiscales équitables

Aujourd'hui, un impôt hautement progressif sur la fortune et à dimension socio-écologique est à l'ordre du jour, notamment dans les pays du G20 (voir graphique). Dans un rapport publié en novembre 2023, l'ONG Oxfam International arrive à la conclusion qu'un impôt mondial sur la fortune de tous les millionnaires et milliardaires permettrait d’engranger 1700 milliards de dollars par an dans le monde. Une taxe de pénalisation supplémentaire sur les investissements dans des activités nuisibles au climat pourrait rapporter 100 milliards de plus. Si l'on combine ces mesures avec un impôt sur le revenu de 60 % pour les 1 % de revenus les plus élevés, 6400 milliards supplémentaires seraient dégagés. Selon l’évolution des affaires et des prix, un impôt sur les bénéfices excédentaires peut également générer des recettes supplémentaires substantielles. En 2022 et 2023, avec une inflation élevée, un tel impôt aurait rapporté 941 milliards de dollars de plus par an selon Oxfam. Ces mesures permettraient donc de générer chaque année au moins 9 000 milliards de recettes fiscales supplémentaires.

Dans son rapport 2024 sur le financement du développement durable, le Département des affaires économiques et sociales de l'ONU estime que les lacunes de financement et d'investissement liées aux objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 de l'ONU s’élèvent entre 2500 et 4000 milliards de dollars par an. Rien qu’avec les instruments mentionnés plus haut, l'Agenda 2030 pourrait facilement être financé d'ici 2030, sans parler des réformes dans d'autres domaines du financement du développement. Contrairement à la taxe sur le diesel de Macron, un impôt mondial sur la fortune serait de toute façon équitable dans l’esprit de la politique climatique internationale : d’après Oxfam, les 1 % les plus riches de la planète étaient responsables en 2019 de 16 % de toutes les émissions de CO2 dans le monde. Ils en émettaient donc autant que les 66 % les plus pauvres de la population mondiale, soit cinq milliards de personnes.

 

 

COP29 – Conférence sur le changement climatique

En novembre, la communauté des Etats négociera à Bakou un nouvel objectif de financement collectif pour aider les pays du Sud global à faire face à la crise climatique. Là aussi, le financement selon le principe de causalité est à l'ordre du jour. Le déficit de financement ne cesse de se creuser et un soutien financier est tout simplement nécessaire pour que les pays du Sud global puissent se développer avec des technologies soucieuses du climat et prévenir encore plus de pertes et préjudices grâce à des mesures d'adaptation. La pression pour un objectif de financement ambitieux est donc forte et les pays riches sont appelés à augmenter considérablement leurs contributions dans les années à venir.

 

Global Logo

global

Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.