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Opinion
Les «dettes» de la Suisse au Mozambique
06.12.2021, Coopération internationale
Le scandale des prêts favorisés par Credit Suisse au Mozambique a clairement montré à la population le rôle paradoxal que jouait la Suisse dans la perspective d’une réduction de la pauvreté et des inégalités.
Perspective Sud de Faizal Ibramugy, journaliste à Nampula, dans le nord du Mozambique, et opérateur médias
La Suisse coopère avec le Mozambique depuis 1979, et depuis 2012, l'année même où se sont déroulées les négociations sur les prêts des « dettes cachées » (« dívidas ocultas » ), la Direction du développement et de la coopération s’est fixé trois priorités en lien avec ce pays : le développement économique, la santé et la gouvernance. Un pays riche en ressources naturelles comme le Mozambique ne peut poursuivre son développement qu’en misant sur une bonne gouvernance et des investissements responsables. Le soutien de la Suisse dans ce domaine est donc le bienvenu. Mais le scandale des « dettes cachées » sape désormais tous les efforts engagés.
Depuis des années, les Mozambicaines et les Mozambicains ont appris comment gouverner, gérer les fonds publics, éviter les pratiques illégales et corrompues susceptibles de nuire à l'État, et agir en toute transparence. C'est cette bonne gouvernance que la Suisse a transmise au pays à travers ses diverses interventions en faveur du développement du pays. La population du Mozambique était loin d’imaginer que des représentants de l’économie d'un pays qui leur apprend à gérer durablement ses ressources économiques s'allieraient à son gouvernement corrompu. Dans ce scandale, les personnes impliquées ont escroqué l'État de plus d'un milliard de dollars, même si des études de faisabilité avaient montré que les prêts convenus n'étaient pas viables.
L’expression « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » est taillée sur mesure ici : les Mozambicaines et les Mozambicains étaient censés apprendre à ne pas se laisser corrompre, mais les employés helvétiques de Credit Suisse ont bien montré que la corruption comptait plus pour eux que la transparence mise en avant dans presque tous les projets et programmes financés par des capitaux suisses.
Remettre les dettes ne suffit pas
Maintenant que Credit Suisse doit assumer une partie de sa responsabilité en versant une pénalité de 475 millions de dollars aux États-Unis et au Royaume-Uni, et en allégeant de 200 millions de dollars la dette du Mozambique, la majorité des Mozambicains espèrent que le moment est venu de demander la remise totale de la dette devant les tribunaux.
J’estime que ce serait toutefois loin d'être suffisant. La Suisse officielle – qui soutient l’ambition du Mozambique de disposer d’institutions étatiques soucieuses d’une gestion décentralisée, équitable et transparente des ressources – devrait admettre que ses efforts de plus de 40 ans n'ont eu aucun effet. Malgré toute l’énergie consacrée, le Mozambique n'a pas été en mesure d'acquérir ces connaissances, tout comme les banquiers de Credit Suisse ont échoué à accorder un crédit en toute transparence.
Un nouveau b.a.-ba de la gouvernance
Aujourd'hui, les Mozambicaines et les Mozambicains font face à une dette qu’une association criminelle de banquiers et de dirigeants a contractée en usant de moyens frauduleux. Le Mozambique est confronté à une catastrophe sans précédent dont la résolution satisfaisante passe non seulement par le pardon mais aussi par une redéfinition de la stratégie d’encouragement de la bonne gouvernance.
Si ce scandale financier qui a ébranlé le Mozambique met en lumière ce que ce pays a appris de la Suisse en termes de bonne gouvernance et de gestion des affaires publiques ces dernières décennies, ma conclusion coule source : tout cela ne vaut rien. Il faut de toute urgence un nouveau b.a.-ba de la gouvernance, de la transparence et de l'intégrité qui fasse comprendre à la population mozambicaine qu'elle gouverne elle-même. Sinon la coopération qui reposait sur des bases solides entre la Suisse et le Mozambique n’ira de pair qu’avec un profond sentiment de honte : celui né des « dettes cachées ».