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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Global, Opinion
06.10.2021, Coopération internationale
Les défis à venir exigent une remise en question radicale à l'échelle mondiale. Les organisations de développement doivent elles aussi relever ce défi : non seulement dans leurs programmes, mais aussi dans leur communication institutionnelle.
Texte de Jörg Arnold, qui a été responsable du marketing et de la collecte de fonds chez Caritas Suisse de 2002 à 2018. Il est cofondateur de Fairpicture (fairpicture.org).
« Nous devons apprendre à communiquer sur la coopération internationale d’aujourd’hui, qui est différente de celle qui était pratiquée il y a 30 ans. Le monde a changé et avec lui notre façon de communiquer. Aujourd’hui, nous disposons au niveau international d’un langage commun, celui de l’Agenda 2030 », constatait Patricia Danzi, directrice de la DDC, à l'occasion du soixantième anniversaire de l'organisation. Ces dernières années, les photos anonymes d'enfants émaciés ont largement disparu des mailings et des sites web des organisations d'entraide. Mais cette réalité a-t-elle également changé la façon dont les organisations occidentales de développement parlent du Sud?
En Suisse, plus d'une centaine d'organisations donatrices reconnues par la ZEWO s'engagent à rendre le monde meilleur pour tout un chacun. Des douzaines d'autres associations non certifiées viennent s'y ajouter. Elles souhaitent toutes soulager la détresse et créer un socle durable pour vaincre la pauvreté, la faim et l'injustice. Elles ont appris à communiquer sur le contenu de leurs activités et à le faire connaître au cercle de leurs donatrices et donateurs. Elles tentent de faire mieux comprendre la situation dans laquelle vivent les personnes en détresse, de renforcer l'engagement en faveur d'une aide concrète et de mettre ainsi leurs propres activités en exergue.
Grâce à leur communication, elles influencent considérablement l'opinion du public sur les sociétés des pays du Sud. Leurs campagnes de collecte de fonds à forte pénétration véhiculent des émotions qui convainquent les donateurs de mettre la main à la poche. Que ce soit sous forme de rapports réguliers adressés sélectivement ou de campagnes de marketing direct sophistiquées: elles façonnent la perception de l'injustice, de la pauvreté, de la détresse et de la violence sur le continent africain, en Amérique latine et en Asie avec des images appelant à agir d'urgence.
Le travail de communication des organisations de développement est exigeant. Elles doivent sans cesse légitimer leurs propres activités auprès des milieux politiques et de l'opinion publique, collecter des dons dans le cadre de ce processus et, composante clé de leur mission de société civile, effectuer également un travail de sensibilisation. Afin de répondre à toutes ces exigences, les organisations ont donc beaucoup investi dans leurs concepts de communication ces dernières années. Mais elles sont particulièrement mises au défi dans leurs récits sur les pays du Sud. C'est là qu'elles doivent passer l'épreuve décisive de leur crédibilité.
Les critiques auxquelles les organisations de développement occidentales sont confrontées sont multiples. On pense, par exemple, aux militantes et militants ougandais de nowhitesaviors.org : ils ont investi les médias pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une représentation discriminatoire des personnes du continent africain dans la communication des ONG. Suite à un déchaînement de critiques virulentes, l'organisation britannique Comic Relief a mis fin à sa fructueuse campagne de collecte de fonds avec des célébrités en « visite de projets en Afrique » incitant à donner de l'argent. Les auteures et auteurs de peacedirect s'expriment sans ambages dans une étude de mai 2021 intitulée Time to Decolonise Aid. Ils affirment que de nombreuses pratiques et attitudes actuelles dans le système d'aide reflètent l'ère coloniale et en découlent, ce que la plupart des organisations et des donateurs du Nord rechignent encore à reconnaître. Selon eux toujours, certaines pratiques et normes modernes renforcent la dynamique et les croyances coloniales, comme l'idéologie du « sauveur blanc » qui transparaît dans le symbolisme des dons et de la communication utilisé par les ONG internationales.
Une communication stéréotypée, calquée sur des modèles coloniaux: l'accusation contre la pratique des organisations de développement est sérieuse. Elle remet non seulement en question de manière critique la position éthique fondamentale des organisations, mais révèle encore une contradiction avec l'objectif de la société civile consistant à vouloir gommer les relations de pouvoir inégales.
Avec le Manifeste pour une communication responsable de la coopération internationale adopté à Berne le 10 septembre 2020, les organisations membres et partenaires d'Alliance Sud ont émis un signal très clair à cet égard. Les auteurs notent de manière autocritique dans l'introduction du manifeste: « Les populations du Sud sont souvent présentées comme des objets et des bénéficiaires de l'aide, tandis que les organisations de développement et leur personnel sont décrits comme des experts et des sujets actifs. (...). Des stéréotypes sont souvent reproduits dans ce contexte. Les images paternalistes du développement laissent entendre que les pays développés montrent aux pays sous-développés comment faire correctement les choses. »
Figer des continents entiers et leurs habitants dans des images de pauvreté et de dépendance est discriminatoire. Enfermer du même coup des personnes dans le rôle de bénéficiaires d'aide reconnaissants est dégradant. Il est grand temps que les organisations de développement se débarrassent d'une approche de collecte de fonds qui a été soigneusement cultivée pendant de nombreuses années, non sans succès. Que la communication prenne de plus en plus d'importance dans notre société mondialisée oblige également les organisations de développement à réfléchir davantage aux effets de leur propre communication et à ce qu'elle peut apporter à l'émergence d'une justice mondiale.
Crise climatique, migration, aide humanitaire: la communication des organisations de développement dans la société de l'information du XXIe siècle ne se limite pas à la communication institutionnelle et à la collecte de fonds. Par leurs récits, elles façonnent activement le changement social et des modes de pensée prégnants. Les organisations de développement doivent veiller à ce que leur communication corresponde aux réalités vécues et aux visions de la vie et aux objectifs des personnes représentées. Les unités organisationnelles opérationnelles, mais aussi les départements de communication, auraient donc intérêt à s'engager dans un processus de théorie du changement dans lequel ils développent une logique d'action orientée vers l'efficacité pour leurs activités, fondée sur une analyse de situation autoréflexive. Cette démarche est nécessaire pour obtenir les effets que l'organisation dans son ensemble cherche à atteindre. Pour maîtriser la complexité des problèmes – des personnes représentées aux destinataires de la communication –, les acteurs locaux, avec leurs différentes perspectives, leur expertise et leurs droits, doivent être intégrés dans ces processus. Le temps où les organisations de développement pouvaient se permettre de communiquer en faisant abstraction des personnes au centre de leur engagement dans la société civile est révolu.
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