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18.06.2023, Finances et fiscalité
En 2016, l'OCDE promettait une réforme fiscal international qui tiendrait également compte des intérêts des pays du Sud mondial. Sept ans plus tard, il apparaît clairement que l'OCDE a échoué dans ses ambitions. L'heure de l'ONU pourrait sonner.
« Pour que l'argent reste en Suisse ». C'est ce que l'on pouvait lire sur les affiches des partisans de l'introduction de l'imposition minimale de l'OCDE dans notre pays. Avec ce simple slogan, les associations de multinationales d'economiesuisse et de SwissHoldings ont gagné la votation du 18 juin, avec l'aide bienveillante des partis bourgeois. Le Conseil fédéral pourra mettre l’impôt minimum en œuvre à compter du 1er janvier 2024. S’il génère effectivement des recettes supplémentaires substantielles en Suisse, elles serviront à promouvoir notre propre place économique. Ainsi, dans notre pays, les recettes supplémentaires seront précisément reversées aux entreprises multinationales (EMN) qui privent chaque année d'autres pays de plus de 100 milliards de dollars de substance fiscale et garantissent aux cantons suisses fiscalement cléments, comme Zoug et Bâle-Ville, de substantielles recettes d’impôts sur les bénéfices. Le simple fait qu'une telle mise en œuvre de l'imposition minimale soit possible le montre : l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le siège est à Paris, a échoué dans ses efforts d’une décennie pour rendre le système fiscal mondial un peu plus équitable. Rien de très surprenant à cela. En effet, même si plus de 140 pays, dont certains pays émergents et en développement, ont participé aux négociations sur cette « réforme », ce sont une fois de plus les intérêts des pays riches du Nord global qui l’ont emporté.
Cette réalité va aussi de pair avec l'histoire de ce « cadre inclusif » (inclusive framework), créé en 2016 par l'OCDE. La promesse de l'époque était de mettre tous les pays sur un pied d'égalité. Mais la condition d’adhésion à ce cadre est l’adoption des règles contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (base erosion and profit shifting, BEPS) que les 39 pays membres de l'OCDE (essentiellement les États riches du Nord mondial) avaient seuls élaborées les années précédentes. Une centaine de pays en développement ont été exclus du processus. Les règles en question sont donc taillées sur mesure pour les pays prospères du Nord. Le prix de l'adhésion au « cadre inclusif » est par conséquent élevé pour les nations en développement. Les pays du Sud mondial, qui hébergent une grande partie de la production dans l'économie mondiale actuelle, ne bénéficieront guère des quelque 250 milliards de recettes supplémentaires que l'OCDE escompte à l’échelle de la planète grâce à l'introduction de l'imposition minimale.
Il faut désormais trouver une alternative. Or, elle est en train de voir le jour à New York: à la fin de l'an dernier, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté, à l'initiative du groupe des pays africains et du G-77 (le groupe de tous les pays en développement), une résolution qui donne le branle à un projet de convention fiscale de l'ONU. À l'instar de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques par exemple, qui marque le rythme et trace l’orientation de la politique climatique mondiale depuis 1992, cette convention créerait un cadre multilatéral véritablement inclusif pour la politique fiscale internationale. Une telle approche offrirait l’opportunité d'élaborer et de négocier des principes de politique fiscale susceptibles de remédier au déséquilibre fondamental entre le Nord et le Sud dans le système fiscal mondial actuel.
Une convention fiscale de l'ONU permettrait de créer des règles multilatérales pour un système fiscal enraciné au niveau transnational et non plus basé sur des accords bilatéraux. Dans le système actuel, quelques accords multilatéraux complètent certes les règles inscrites dans les conventions bilatérales en matière de double imposition (CDI), mais ce sont en fin de compte ces dernières qui déterminent la manière dont les pays se répartissent la substance fiscale issue des flux financiers transfrontaliers dans l'économie mondiale. Cela se fait souvent au détriment des pays en développement qui, vu leur puissance économique moindre, sont régulièrement perdants dans les négociations bilatérales sur les CDI avec les pays du Nord.
Une convention-cadre de l'ONU en matière de politique fiscale serait également la condition préalable à la mise en place d'une imposition globale des EMN. Dans le système fiscal établi, les différentes sociétés nationales des EMN sont traitées comme des entreprises individuelles. Les EMN devraient donc être imposées dans chaque pays en fonction des bénéfices qu'elles réalisent dans un pays donné. Depuis des décennies, les transferts de bénéfices sont toutefois un problème majeur pour les pays pratiquant des taux d'imposition relativement élevés. En imposant leurs bénéfices non pas là où la valeur ajoutée est créée, mais là où les bénéfices sont les plus bas, les EMN privent chaque année de nombreux pays de milliards de recettes fiscales. Les imposer globalement rendrait les transferts de bénéfices obsolètes, car les diverses sociétés d'une EMN ne seraient plus taxées par pays et les EMN ne seraient donc plus incitées à comptabiliser leurs bénéfices là où les taux d'imposition sont les plus bas. Au lieu de cela, tous les bénéfices de tous les pays dans lesquels l’EMN est active seraient additionnés et l'assiette de l'impôt sur les bénéfices attribuée à chaque pays selon une formule tenant compte du nombre d’employés par pays, du chiffre d'affaires et des valeurs physiques (les usines par exemple). Chaque pays impose ensuite ces bénéfices selon ses propres règles fiscales.
Le bureau du secrétaire général de l'ONU António Guterres est en train de rédiger un rapport sur la création d'une convention fiscale qui sera présenté en septembre à New York après consultation des États membres de l'ONU et des parties concernées. L’Alliance mondiale pour la justice fiscale (Global Alliance for Tax Justice, GATJ) et le Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), dont Alliance Sud est membre, sont très impliqués dans ce processus.
La Suisse a certes approuvé la résolution à l'Assemblée générale. Mais dans une réponse à une interpellation du conseiller national socialiste et coprésident de Swissaid Fabian Molina, qui s'interrogeait sur la position du Conseil fédéral sur la question d'une convention fiscale de l'ONU, le Conseil fédéral souligne qu'il soutient certes « un état des lieux du cadre institutionnel de la coopération internationale en matière fiscale » à l'ONU, mais qu'il refuse la création d'une convention fiscale onusienne. Il semble convaincu de savoir mieux que les pays en développement ce qui est bon pour eux. Non sans relents coloniaux et paternalistes, il écrit : « Néanmoins, le Conseil fédéral juge discutable l'utilité d'une convention fiscale des Nations Unies pour défendre la position des pays en développement. »
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