FISCALITE

Signes d’espoir au Vatican

20.03.2025, Finances et fiscalité

L'Académie pontificale des sciences sociales a organisé une rencontre sur la justice fiscale et la solidarité. Mais ce n'est pas le Saint-Esprit qui planait au-dessus des participant·e·s, mais Donald Trump.

Signes d’espoir au Vatican

Il y a trois ans déjà, le pape François a appelé à un système fiscal équitable pour un monde plus juste : la brume matinale se dissipe autour de la basilique Saint-Pierre, au Vatican. © Keystone/AFP/Tiziana Fabi

On peut penser ce qu'on veut du monothéisme en général et de l'Eglise catholique en particulier. Mais il est incontestable que le premier pape originaire du Sud global est très attaché à la justice sociale. Il y a trois ans déjà, le Pape François a donc appelé de ses vœux un système fiscal qui « doit favoriser la redistribution des richesses, en protégeant la dignité des pauvres et des derniers, qui risquent toujours de finir écrasés par les puissants ».

Le « dialogue de haut niveau » de l'Académie pontificale des sciences sociales s'est tenu le 13 février 2025 en collaboration avec la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT, voir encadré). Les organisateurs et le lieu de la rencontre ont permis de réunir des participant·e·s de haut rang, parmi lesquels des lauréats du prix Nobel, des professeur·e·s, d'anciens présidents (des actuels comme Lula et Pedro Sánchez ont envoyé des messages vidéo), des représentant·e·s d'organisations des Nations Unies et de la Commission européenne. Et bien sûr, les ONG qui ont lancé l'ICRICT ont également participé.

 

La Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Independent Commission for the Reform of International Corporate Taxation, ICRICT) a été créée voilà une décennie à l'initiative d'organisations de la société civile, dont Alliance Sud. Elle a pour mission d'apporter un soutien technique et de faire entendre la voix des pays en développement. Outre les coprésident·e·s Jayati Ghosh et Joseph Stiglitz, la commission compte 12 autres membres originaires d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine, d'Océanie et d'Europe, dont l'ancienne députée européenne et experte en matière de corruption et de blanchiment d'argent Eva Joly, l'ancien ministre des finances colombien José Antonio Ocampo ou le professeur d'économie Thomas Piketty, auteur du best-seller « Le Capital au XXIe siècle ».

 

Lors de l'ouverture, la présidente de l'Académie pontificale des sciences sociales, Sœur Helen Alford, a déclaré que le Pape François (qui était malheureusement tombé gravement malade le même jour) avait choisi le thème « Signes d’espoir » pour l’Année sainte 2025. Et des signes d'espoir, il y en a eu à l'ombre de la basilique Saint-Pierre, malgré Trump — ou peut-être justement à cause de lui.

L'ancienne Première Ministre du Sénégal, Aminata Touré, a rappelé qu’en raison de l'évasion fiscale et d'autres flux financiers illégitimes, l'Afrique perd chaque année plus d'argent que tous les fonds de la coopération au développement et les investissements étrangers réunis sur le continent. Au vu des rencontres importantes de l'ONU cette année, comme la 4e Conférence sur le financement du développement (FfD4) ou le deuxième sommet mondial pour le développement social, Aminata Touré espère que le bon sens l'emportera, « ce que nous appelons tous de nos vœux en ce moment ».

Comment taxer les milliardaires

Que le G20, sous la houlette du Brésil, se soit prononcé l'année dernière en faveur d'une augmentation de l'imposition des très grandes fortunes a été considéré par beaucoup comme un signe d'espoir. L'un des plus ardents défenseurs de cette idée, le professeur d'économie français Gabriel Zucman, a expliqué que les personnes possédant une fortune de 100 millions de dollars sont celles qui paient le moins d'impôts, tous groupes sociaux confondus. Ou comme l'a dit Abigail Disney, petite-nièce et héritière de Walt Disney : « Mon taux d'imposition effectif est inférieur à celui de mon concierge. » Zucman n'a malheureusement pas précisé à quoi pourrait ressembler une taxe sur les milliardaires, ce qui a amené Edmund Valpy Fitzgerald, professeur émérite d'Oxford en financement du développement, à souligner la difficulté de la tâche : « La grande majorité des milliardaires se trouvent dans les pays du Nord, il faut donc la coopération de ces pays. Les grandes fortunes du Sud doivent faire l’objet d’un traitement différent de celles du Nord, il faut donc des règles adaptées. Et puis la question reste en suspens de savoir comment les recettes fiscales pourraient être utilisées en faveur des pays en développement et qui devrait recevoir combien. Mais « la structure adéquate pourrait remplacer le système de coopération au développement par des transferts financés par l'impôt sur la base des besoins et des possibilités », ce qui est un signe d'espoir.

Après cette incursion dans le thème de l'imposition individuelle, la discussion est rapidement revenue à ce qui fait toute la raison d’être de la commission : la réforme de la fiscalité des entreprises. Tout le monde s'accordait à dire que l'imposition minimale de l'OCDE ne fonctionne pas et que l'ONU est le seul forum approprié pour les questions fiscales mondiales. Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel d'économie, a résumé la situation en ces termes : «  Ce qu'il y a de bien dans ces temps difficiles, c'est le grand nombre d’améliorations possibles. » Et il a vu le signe d'espoir le plus surprenant : le retrait de Trump des négociations sur la convention fiscale de l'ONU. « Dans le passé, les Etats-Unis ont toujours agi de la même manière. Ils négocient avec fermeté, forcent tout le monde à faire des concessions, édulcorent, pour finalement ne pas signer ou ratifier l'accord. » Il vaut donc mieux qu'ils ne soient plus du tout dans le coup. Il a également fait une proposition concrète sur la manière de riposter à Trump, en prenant l'exemple de la suspension de la loi anticorruption (Corrupt Foreign Practices Act). La corruption est donc à nouveau autorisée, et même « great for American business ». Comme cette invitation à la corruption a le même effet que les subventions, selon Stiglitz, les pays pourraient prendre des mesures de rétorsion que l'OMC autorise en matière de subventions. Ou bien ils pourraient taxer les multinationales américaines, pour financer la lutte contre le changement climatique ou pour contrebalancer le démantèlement de l'USAID. « Réagissez de manière créative à un gouvernement dysfonctionnel aux Etats-Unis ! »

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez s'est montré plus réaliste dans son message vidéo. Il s'est exprimé très clairement en faveur de l'imposition des très grandes fortunes, a appelé à une convention fiscale ambitieuse de l'ONU et au principe selon lequel l'imposition doit avoir lieu là où la valeur ajoutée est créée. « La question est simple : contrôlons-nous la fiscalité mondiale ou laissons-nous le système nous contrôler ? ». L'Espagne, qui accueille la FfD4 à Séville, joue un rôle de premier plan. Ses propos clairs sont donc un signe d'espoir.

L'économiste indienne et coprésidente de l'ICRICT, Jayati Ghosh, est allée encore plus loin : « Les périodes difficiles sont l'occasion de se réorganiser, de former de nouvelles alliances et de trouver des alliés là où on ne les attendait pas. » Si les pays européens se tournaient vers l'Afrique pour négocier la fiscalité mondiale, face à l'arrogance de Washington, ce serait plus qu'un signe d'espoir.

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