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La Suisse dans la nébuleuse de la compensation de CO2 au Ghana

20.11.2024, Justice climatique

L'achat de nouveaux fours de cuisson au Ghana devrait permettre, à des femmes surtout, d'économiser plus de 3 millions de tonnes de CO2 — en remplacement de réductions d'émissions réalisées en Suisse. Alliance Sud critique le manque flagrant de transparence du projet et montre les détails explosifs que ses propriétaires ont voulu cacher au grand public.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

La Suisse dans la nébuleuse de la compensation de CO2 au Ghana

Une jeune fille cuisine avec sa mère dans sa maison à Tinguri, au Ghana. La Suisse se concentre sur ces foyers toxiques pour la santé dans le cadre de sa compensation climatique.
© Keystone / Robert Harding / Ben Langdon Photography

Grace Adongo, une paysanne de la région d'Ashanti au Ghana, est heureuse de son nouveau four de cuisson plus efficace. Au lieu de cuisiner sur un feu ouvert, elle pose désormais sa marmite sur une petite cuisinière. Elle utilise nettement moins de charbon de bois et économise ainsi de l'argent tout en émettant moins de CO2. Ce témoignage provient du dernier rapport annuel du Ghana Carbon Market Office et va dans le sens de nombreux autres qui font état des innombrables projets de fours de cuisson sur le marché mondial du carbone. Ces derniers doivent contribuer à équiper les couches les plus pauvres de la population de fours moins énergivores et moins nocifs pour la santé que les fours traditionnels ou les foyers émettant beaucoup de fumée. Cette approche permet de réduire la consommation de bois et d'économiser des émissions de CO2 (la quantité de celles-ci fait l’objet de nombreuses controverses — mais nous y reviendrons plus loin).

Le principe est toujours le même : les fours sont vendus à prix réduit. Les clientes et les clients cèdent alors leur droit à la réduction des émissions aux propriétaires du projet. Les rejets non émis grâce aux nouveaux fours sont ensuite calculés sur les années suivantes et vendus au niveau international par les propriétaires du projet sous forme de certificats de CO2. Les revenus générés par ces derniers sont nécessaires pour subventionner les fours de cuisson.

Ce qui semble être une bonne chose l'est certainement pour des gens comme Grace Adongo d'un point de vue individuel. Mais le système qui l'entoure est bien plus complexe et contradictoire. Dans le cas de la Transformative Cookstove Activity in Rural Ghana qu'Alliance Sud examine à la loupe dans la présente étude, il s'agit du marché de compensation de l'État, dans lequel la Suisse prend en compte les réductions d'émissions réalisées par le Ghana dans les objectifs climatiques de la Suisse. Il en ressort un nombre étonnant de situations qui doivent être évaluées de manière critique dans une perspective de justice climatique. La collaboration de la Suisse avec le Ghana est également un bon exemple de la raison pour laquelle le commerce de certificats dans le cadre de l'Accord de Paris ne permet pas d'atteindre des objectifs climatiques plus ambitieux.

Les certificats de CO2 provenant de ce projet et de nombreux autres sont payés par une taxe de 5 centimes par litre de carburant distribué à la pompe en Suisse. Appartenant aux importateurs de carburant, la Fondation KliK pour la protection du climat et la compensation de CO2 utilise cet argent pour des projets de compensation en Suisse et à l'étranger. En compensant les émissions de CO2 hors de nos frontières, les acteurs politiques suisses entendent pallier l'absence de mesures de protection du climat en Suisse afin d'atteindre malgré tout les objectifs climatiques fixés dans l'Accord de Paris.

 

Dans le cadre de l'Accord de Paris de 2015, la Suisse s'est engagée à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990. Or, la loi sur le CO2 ne permet de réduire qu'un peu plus de 30% des émissions en Suisse — à peine plus qu'avant la révision de la loi au printemps 2024. Les 20% restants doivent être compensés à l'étranger. Avec le paquet d'économies annoncé par le Conseil fédéral en septembre 2024, les mesures de protection du climat en Suisse devraient également être supprimées. Cela conduira inévitablement à ce que notre pays ait besoin de toujours plus de certificats de compensation pour pouvoir encore atteindre les objectifs climatiques. Tel n’est pas l’esprit de l'article 6 de l'Accord de Paris, qui doit explicitement conduire à « relever le niveau d’ambition » moyennant le transfert de réductions d'émissions vers d'autres pays. Pour cela, la Suisse devrait s'assurer que les objectifs climatiques des deux pays sont compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris. Elle a promis zéro émission nette d'ici 2050. Comme le zéro net doit être atteint d’ici 2050 au niveau planétaire, la Suisse attend donc de facto des autres pays qu'ils visent aussi zéro émission nette d’ici l’horizon 2050. Par rapport à cela, la contribution nationale du Ghana d'ici 2030 à la réalisation de l'Accord de Paris présente des lacunes considérables. Ce pays ne communique qu'à titre indicatif un objectif de zéro émission nette pour 2060 et exclut l'exploitation pétrolière de ses objectifs climatiques. Interrogé à ce sujet, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) écrit que « les exigences de l'Accord de Paris s'appliquent », en se référant aux objectifs climatiques fixés unilatéralement selon le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives. « Dans ce contexte, les objectifs climatiques doivent comprendre l'ambition la plus élevée possible et il s’agit de relever le niveau d’ambition des objectifs suivants ». Il n'existe cependant pas d'autres critères pour les objectifs climatiques d'un État partenaire.

Voilà un an, le Ghana a fait part d’une intensification de sa production de pétrole et a justifié cette mesure par le manque de soutien financier pour la protection du climat. Cela souligne le problème de base : les pays du Sud mondial manquent de financement international pour le climat, un financement auquel ils auraient droit comme soutien du Nord global. Conséquence ? Ils adoptent la deuxième meilleure solution pour obtenir ce financement, à savoir la vente de leurs activités de protection climatique sous forme de certificats de CO2. La différence avec le financement climatique : la Suisse obtient le « droit » de reporter à plus tard ses mesures de protection du climat. Dans l'ensemble, les ambitions pour une protection efficace du climat sont revues à la baisse et non pas relevées.

 

L’épais brouillard de février

Le présent projet de fours de cuisson a été approuvé en février 2024 par le Ghana et la Suisse dans le cadre du mécanisme de marché bilatéral de l'Accord de Paris (art. 6.2). Il est mis en œuvre par l'entreprise de matières premières ACT Commodities d'Amsterdam (propriétaire du projet, voir encadré 2) et doit permettre d’épargner plus de 3 millions de tonnes de CO2 d'ici 2030. Les gouvernements des deux pays ont l'entière responsabilité de veiller à ce que le projet respecte des exigences de qualité élevées et tienne ses promesses. L'Office fédéral de l'environnement (OFEV) examine à cet effet la documentation du projet et la publie après son approbation.

 

Le propriétaire du projet est une multinationale dont le siège est à Amsterdam : ACT Commodities. Sur son site Internet, elle se décrit comme un fournisseur de premier plan de solutions de durabilité basées sur le marché et un moteur de la transition vers un monde durable. ACT est un protagoniste en vue du commerce des émissions. Mais ACT préfère renoncer à trop de transparence — sur son propre site web, on ne trouve pas un mot sur le fait que le portefeuille de la multinationale comprend aussi le commerce du pétrole et des carburants (via la société sœur ACT Fuels, qui n'a pas de site web). Seul un coup d'œil au registre du commerce néerlandais le révèle. Depuis juillet 2023, ACT Commodities possède par ailleurs une entreprise qui propose des carburants pour bateaux, le plus sale de tous les carburants. La multinationale fait donc partie du groupe croissant de négociants en matières premières qui font du commerce avec les énergies fossiles et se « blanchissent » comme protagonistes sur le marché du CO2.

 

Mais un premier coup d'œil sur les documents révèle déjà des lacunes en termes de transparence : le projet est aussi opaque qu'un épais brouillard. Des pans entiers de la description du projet ont été caviardés, dont la quasi-totalité de l'analyse qui doit prouver que le projet est à l’origine de réductions d'émissions supplémentaires (voir photo). Mais de nombreux autres chiffres et données pertinents ont aussi été occultés. Et le document contenant les calculs expliquant pourquoi la réduction de CO2 doit totaliser 3,2 millions de tonnes n'a même pas été publié. La transparence ne ressemble en rien à un tel tableau.

Alliance Sud a exigé la publication des documents et des calculs non expurgés en invoquant la loi sur la transparence (LTrans) — et, d’abord, a attendu quatre mois vu le refus des propriétaires du projet. Puis, une grande partie de la documentation a été rendue publique, mais pas intégralement. Les passages encore caviardés étaient considérés comme des secrets commerciaux. Mais il apparaît désormais sans ambiguïté que de nombreux passages ont été occultés de manière totalement arbitraire dans le document initial.

 

Extrait de l'analyse de l'additionnalité du projet, entièrement « expurgée » à l'origine.

 

Des réductions d'émissions surestimées jusqu'à 79%

Les modalités du calcul des économies potentielles de 400 000 tonnes de CO2 par an pendant 8 ans au Ghana font partie des informations centrales d’un projet de compensation. Les organismes de vérification sérieux pour le marché volontaire des certificats sont tenus de publier ces calculs. Les données doivent être tenues à disposition pour des analyses scientifiques — d'autant plus que toujours davantage d’études constatent une surestimation des réductions d'émissions grâce aux certificats de CO2, y compris pour les projets de fours de cuisson.

Mais dans ce cas, le propriétaire du projet s'y oppose. Ce manque de transparence est inacceptable. Suite à une demande invoquant la LTrans, Alliance Sud a reçu un PDF des tables de calcul. Sans possibilité de voir les formules Excel intégrées, la traçabilité reste limitée.

Les chiffres disponibles révèlent cependant des choses surprenantes : dans le PDF de calcul, il apparaît que pour les années 2025-30, les réductions d'émissions des mêmes fours sont calculées comme étant presque deux fois supérieures que pour 2023-24. La raison en est une augmentation apparemment prévue du paramètre clé, la part d'approvisionnement en bois non durable, appelée fraction de biomasse non renouvelable (fraction of non-renewable biomass, fNRB). Il s'agit d'une estimation de la quantité de biomasse ligneuse dont la récolte de bois de chauffage dépasse sa croissance naturelle. Seule la consommation réduite de bois de chauffage non durable peut être invoquée comme réduction des émissions de CO2. Ce paramètre est directement multiplié par les autres facteurs. Il est donc décisif pour les calculs de réduction des émissions. Une estimation trop élevée de la fNRB est la raison majeure de la critique parfois accablante des projets de fours de cuisson menés jusqu'à présent pour réduire les émissions.

Pour celles et ceux qui veulent en avoir le cœur net : selon la documentation du projet, la fNRB a été estimée à 0,3, ce qui est plus conservateur que de nombreux projets de fours de cuisson réalisés jusqu'à présent. D’après l’étude de référence officielle de la CCNUCC de juin 2024, cette valeur est appropriée en tant que valeur standard afin de ne pas surestimer massivement les réductions d'émissions et simultanément cohérente avec la valeur spécifique au pays de l'étude pour le Ghana (0,33). Or, le projet comporte une clause selon laquelle le Ghana et la Suisse peuvent adapter (vers le haut) la fNRB de manière bilatérale a posteriori. Le fait qu'une fNRB de 0,7629 soit déjà calculée à partir de 2025 n'apparaît que dans le PDF de calcul, qui n'a d’abord pas été publié. La description du projet ne mentionne pas qu'une valeur plus élevée est déjà prévue, même si elle n'a pas encore été approuvée. La valeur de 0,7629 provient de l'outil obsolète, le CDM-Tool 30, que l’OFEV lui-même qualifie de base insuffisante. Au printemps 2024, le Ghana a lancé un appel d'offres pour une étude indépendante afin de déterminer une valeur fNRB spécifique au pays — visiblement dans l'espoir de légitimer une valeur nettement plus élevée. Pour que celle-ci soit également acceptée par la Suisse, l'étude doit passer l’évaluation par des pairs (peer review) des organes de la CCNUCC. Vu l'étude de référence mentionnée, largement acceptée, qui calcule une valeur par pays de 0,33 pour le Ghana, l’entreprise risque d’être ardue.

 

Das Berechnungsdokument zeigt, dass ab 2025 mit einem mehr als doppelt so hohen fNRB, dem wichtigsten Parameter, gerechnet wird. Die Emissionsreduktionen zwischen 2025 und 2030 werden so gemäss Berechnungen von Alliance Sud um bis zu 92% überschätzt. Insgesamt beträgt die Überschätzung bis zu 79% (unter Berücksichtigung der korrekten Berechnung für 2023 und 2024).

Le document de calcul montre qu'à partir de 2025, on compte avec une fNRB, le paramètre clé, plus de deux fois plus élevée (ligne en jaune). Les réductions d'émissions entre 2025 et 2030 sont ainsi surestimées jusqu'à 92% selon les calculs d'Alliance Sud. Au total, la surestimation atteint jusqu'à 79% (en tenant compte du calcul correct pour 2023 et 2024).

 

Si l'on part, sans fondement, d'une valeur fNRB plus de deux fois supérieure, les réductions d'émissions sont donc surestimées à l'avance. Sur la base des calculs d'Alliance Sud, le projet réduirait au maximum 1,8 million de tonnes de CO2 si la valeur fNRB était maintenue constante à la valeur plus réaliste de 0,3. Or, le projet promet une réduction de 3,2 millions de tonnes de CO2. Il amplifie donc les réductions globales dans une proportion allant jusqu’à 79%.
D'ailleurs, contrairement au propriétaire du projet, nous publions nos propres calculs.

 

Le brouillard se dissipe après quelques recherches…

L'absurdité de vouloir qualifier la moitié de la documentation du projet de « secret commercial » (dans la première version de février) est illustrée par le fait que de nombreuses informations dissimulées sont disponibles publiquement ailleurs. Certains renseignements mineurs, qui avaient été dissimulés à l'origine, sont même non « expurgés » dans le même document à un autre endroit. D'autres informations sont visibles dans des documents du gouvernement ghanéen ou peuvent être combinées à partir d'autres sources.

Ainsi, grâce à un article en ligne des autorités ghanéennes sur une visite du conseil de la fondation KliK, on découvre le principal partenaire de distribution du projet au Ghana : une entreprise ghanéenne du nom de Farmerline. Elle facilite l'accès des paysannes et des paysans aux intrants agricoles — et ouvre ainsi à l'industrie agricole internationale les portes d’une nombreuse nouvelle clientèle au Ghana. Les propriétaires du projet souhaitaient également dissimuler cette relation. Dans la documentation du projet, plusieurs références à des partenariats dans le secteur agricole étaient à l'origine dissimulées et la collaboration concrète est toujours censurée — et il y a de bonnes raisons à cela, comme le montre un examen plus attentif.

…même s’il reste un nuage de pesticides

De son côté, Farmerline a annoncé sa collaboration avec Envirofit, le producteur de fours de cuisson et partenaire de mise en œuvre des propriétaires du projet, en juin 2023. La documentation indique à ce sujet comment 180 000 fours seront vendus en peu de temps à la population rurale, précise aussi qu’ils seront proposés dans plus de 400 magasins d'intrants agricoles. Certains posts de Farmerline sur la plateforme X attirent toutefois l'attention. Cette année, Farmerline a organisé une exposition itinérante agro-industrielle (Agribusiness Roadshow) dans plusieurs régions du Ghana, en collaboration avec Envirofit — et avec le groupe agroalimentaire Adama appartenant au groupe Syngenta. Chaque jour de la tournée, les fours de cuisson efficaces d'Envirofit ainsi que les pesticides d'Adama ont été présentés et proposés à la vente aux agricultrices et agriculteurs. Sur les vidéos de Farmerline, les produits Adama sont identifiables et, pour trois insecticides et un herbicide, il s'agit de produits contenant des substances actives non autorisées en Suisse et dans l'UE parce que trop dangereuses pour l'environnement et la santé : Atrazine, Diazinon et Bifenthrine. L'atrazine pollue les nappes phréatiques, inhibe la photosynthèse des plantes et ne se dégrade presque plus dans l'environnement ; elle est en outre classée comme cancérigène. Le diazinon ne s'attaque pas seulement aux parasites souhaités, mais à tous les insectes, et peut aussi être d'une toxicité aiguë chez l'être humain s'il entre en contact avec la peau. La bifenthrine est surtout très toxique pour les animaux aquicoles, mais ne devrait pas non plus être inhalée par les humains (voir la base de données sur les pesticides du Pesticide Action Network).

 

Exemple de photo tirée d'une vidéo de la tournée de Farmerline, au cours de laquelle outre les fours de cuisson, l'herbicide Maizine 30 OD contenant la substance active atrazine, interdite en Suisse, est vendu.

 

Aucune des vidéos ne montre par ailleurs la démonstration ou la vente de vêtements de protection adaptés. Selon diverses études (Demi und Sicchia 2021 ; Boateng et al 2022 ; et autres), l'utilisation croissante de pesticides dans l'agriculture ghanéenne va de pair avec d’importants problèmes de santé pour les paysannes et les paysans. Faute d'instructions de la part des revendeurs, nombre de paysans ignorent comment utiliser correctement les pesticides et se protéger, ou n'ont pas assez d'argent pour acheter des vêtements de protection. De plus, ils obtiennent des informations spécialisées de leur environnement personnel ou de leurs commerçants surtout, mais les conseils agricoles indépendants font défaut. Dans leur étude, Imoro et al. 2019 ont constaté que 50% n'utilisaient aucun vêtement de protection et que 40% n'en utilisaient pas suffisamment. Lorsqu'on demande à KliK si de tels vêtements sont vendus lors des tournées, KliK répond que ses partenaires de coopération respectent bien entendu les critères de durabilité les plus élevés. KliK écrit que le problème qu'Alliance Sud soulève avec cette question ne relève pas de son pouvoir d'appréciation.

La tentative de se prononcer clairement sur la contribution de ce projet de compensation au développement durable s'apparente donc toujours à tâtonner dans le brouillard. En effet, la clientèle des fours de cuisson économise certes de l'argent et améliore, espérons-le, sa santé grâce à la réduction de la fumée, mais elle est simultanément incitée à dépenser l'argent économisé pour des pesticides dont l'utilisation accrue entraîne des dommages environnementaux et, dans de nombreux cas, des atteintes à la santé. De ce point de vue, KliK a échoué dans l'évaluation des « critères de durabilité les plus élevés » des partenaires de coopération. Il est certes évident que des synergies sont recherchées avec les acteurs existants dans le domaine agricole afin d'atteindre les populations des zones rurales. Mais si la durabilité avait été au premier plan, un partenariat avec des organisations promouvant des approches agro-écologiques se serait bien plus imposé.

Des profits faramineux pour les investisseurs

Les nouveaux fours de cuisson permettent à la clientèle de réaliser des économies, mais le projet est bien plus largement profitable pour les investisseurs. Il reste également opaque d'un point de vue financier : les prix des fours ne sont pas communiqués, ceux des certificats sont une affaire privée de KliK et de ses partenaires commerciaux. L'OFEV ne vérifie pas non plus le plan financier, ou autre, du projet. Mais avec la publication de quelques informations supplémentaires faisant suite à la demande invoquant la LTrans, il est clair que les investisseurs devraient toucher le pactole. Ceux qui sont derrière ce projet restent invisibles, mais à en croire la documentation du projet, ils devraient pouvoir escompter un rendement annuel de 19,75% sur leur investissement. Ce rendement absurdement élevé est justifié par une comparaison avec les obligations d'État du Ghana. Cette comparaison est sans fondement aucun, les deux choses n'ayant rien à voir l'une avec l'autre. Les risques d'investir dans une obligation d'État d'une nation déjà fortement endettée sont d'une toute autre nature, ce qui explique les rendements élevés (même s'ils ne sont pas légitimés, car les taux d'intérêt élevés pour les États plus pauvres sont effrayants et dévastateurs — mais c’est encore une autre histoire).

Ici, en revanche, il s'agit d'un projet cofinancé et garanti par des fonds quasi publics ; on pourrait le classer dans la catégorie blended finance, un financement mixte public-privé. En effet, les importateurs de carburant prélèvent une taxe sur le carburant en application de la loi sur le CO2. Si les recettes de cette taxe devaient, d'un point de vue purement technique, faire un détour par le trésor public — comme c'est la règle pour d'autres taxes — avant d'être dépensées pour des projets de compensation, il s'agirait de l'argent public des contribuables.

Il existe donc un intérêt public à ce que les recettes de cette taxe soient utilisées efficacement. L'argent doit servir à la protection du climat et au développement durable sur place, plutôt qu’aux rendements mirobolants des investisseurs.

 

Conclusion

Les fours de cuisson efficaces sont un moyen avantageux d'apporter des améliorations dans la vie de nombreuses personnes tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Le mécanisme de marché de l'Accord de Paris présente toutefois des contradictions considérables dans la mise en œuvre de projets de protection climatique dans le Sud mondial. Il doit contribuer au développement durable sur place, mais il est conçu comme une affaire potentiellement lucrative pour les investisseurs. Et tandis que certaines émissions sont réduites dans le Sud global, le mécanisme offre une excuse politique pour remettre à plus tard la protection du climat dans un pays aussi prospère que la Suisse.

La transparence dans le commerce de certificats est donc essentielle pour connaître les dessous complexes et potentiellement problématiques des projets de compensation. Le projet de compensation climatique de la Suisse au Ghana en est un exemple éloquent. Ni la surestimation des réductions d'émissions, ni la vente de pesticides toxiques, ni le rendement trop élevé ne ressortaient des documents publiés après l'approbation du projet de fours de cuisson. Ce n'est que suite à une demande invoquant la LTrans et à des recherches plus poussées qu'Alliance Sud a pu dissiper le brouillard de la documentation opaque du projet : celle-ci a révélé l'approbation de méthodes de calcul hasardeuses, des pratiques commerciales des partenaires de mise en œuvre nuisibles à l'environnement et aux populations, ainsi qu'une compréhension douteuse de la transparence de la part des protagonistes majeurs. La possibilité d'un examen public reste cependant décisive pour que les projets de compensation ne compromettent pas la mise en œuvre de l'Accord de Paris.

 

 

Le cas en question est le deuxième projet de compensation de la Suisse dans le cadre de l'Accord de Paris examiné par Alliance Sud. Il y a un an, Alliance Sud et Action de Carême avaient déjà montré pourquoi les nouveaux bus électriques de Bangkok ne remplaçaient pas la protection du climat en Suisse.