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Aligner les investissements sur le climat

06.12.2022, Finances et fiscalité

En signant l’Accord de Paris sur le climat, la communauté des Etats s’est (aussi) engagée à orienter les flux financiers vers une économie faible en carbone. La Suisse avance dans cette direction… mais à petits pas.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Aligner les investissements sur le climat

© House of Switzerland

On l’oublie parfois, l’Accord de Paris signé en 2015 engage également les Etats – outre à réduire leurs émissions de CO2 et assurer l’adaptation aux effets du changement climatique – à « rendre les flux financiers compatibles avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». Cet engagement enjoint notamment les Etats à prendre les mesures nécessaires pour assurer que les acteurs financiers – à travers leurs financements et investissements – contribuent à réorienter les capitaux vers des solutions concrètes d’atténuation et d’adaptation. On parle, de manière simplifiée, « d’aligner les investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris ».

Au vu de son importance sur le plan global – 24 % de la gestion de patrimoine transfrontalière est effectuée en Suisse – le secteur financier suisse serait à même de jouer un rôle de catalyseur de premier plan pour contribuer à cette réorientation. Or, si tout le monde est d’accord sur l’objectif, les avis divergent largement sur les mesures à prendre pour y parvenir.

Taxonomie de l’UE : définir, enfin, la « durabilité »

De son côté, l’UE a adopté en juin 2020 le règlement « Taxonomie » ; c’est la pièce maîtresse de son plan d’action pour financer une croissance durable. Un des objectifs centraux est de pouvoir identifier et favoriser les investissements vers les activités « durables » qui sont alignées avec l’objectif de l’UE d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Pour cela, il crée une classification (taxonomie) des activités économiques des entreprises selon leur potentiel de contribution aux six objectifs environnementaux de l’UE.  Plus de 70 activités issues des secteurs incluant l’énergie, les transports, la sylviculture et la construction sont concernées – selon différents niveaux   – représentant plus de 90% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Les grandes entreprises doivent identifier parmi leurs activités celles qui correspondent à la taxonomie et indiquer la part qu’elles représentent dans leur activité globale. Ces informations doivent permettre aux acteurs financiers de prioriser les financements aux projets et actifs reconnus comme contribuant le mieux à la trajectoire vers la neutralité climatique. A partir de 2023, les grandes entreprises devront également publier l’alignement de leurs activités à la taxonomie. Cette même obligation s’appliquera dès 2024 aux institutions financières.

Pour qu’une activité puisse bénéficier du label « vert » au sens de la taxonomie, elle doit contribuer de manière substantielle à au moins un des six objectifs environnementaux de l’UE, sans porter un préjudice significatif aux cinq autres, tout en respectant des garanties en matière de droits humains et de droit du travail. C’est la Commission européenne qui adopte les critères pour identifier les activités respectueuses de l'environnement. Un premier volet climatique – en vigueur depuis janvier 2022 –   intègre les activités qui contribuent aux deux premiers objectifs de la taxonomie (atténuation et adaptation au changement climatique).  Les critères pour les quatre autres objectifs (pollution, eau, économie circulaire et biodiversité) devraient être définis avant la fin de l’année. À l'avenir, des critères sociaux et des aspects de gouvernance supplémentaires seront également définis.

Et en Suisse : compétitivité et/ou durabilité ?

Le Conseil fédéral reconnaissait en 2020 dans son Rapport sur le développement durable dans le secteur financier suisse l’importance d’un système de classification uniforme des activités durables (taxonomie), en premier lieu « parce que des informations comparables sont synonymes de transparence pour les clients, les assurés, les investisseurs et le public » . Il a tout de même préféré – suite aux oppositions des acteurs de la branche et sur la base du sacro-saint principe de subsidiarité de l’action de l’Etat – suivre une approche volontaire et donc non réglementaire.

En juin 2022, il a adopté les Swiss Climate Scores (SCS), établis par un groupe de travail comprenant les acteurs de la branche, des représentants de la Confédération, des milieux académiques et des ONG.  Leur objectif : fournir aux investisseurs institutionnels ou privés des informations « fiables et comparables » sur le degré de compatibilité de leurs placements financiers avec les objectifs climatiques internationaux. Le CF recommande à tous les acteurs suisses du marché financier d’appliquer les Swiss Climate Scores aux placements financiers et aux portefeuilles des clients « lorsque cela s'avère judicieux ».

L’approche est-elle crédible ?

Afin de maintenir leur caractère de bonnes pratiques dans le domaine de la transparence climatique, il est prévu de réviser les SCS à intervalles réguliers et, « si nécessaire », de les adapter pour refléter les dernières connaissances. Département fédéral des finances (DFF) et Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), ont été chargés d'examiner – d'ici à la fin 2023 – l'état d'avancement de l'introduction – on le rappelle, volontaire – des « Swiss Climate Scores » par les acteurs suisses du marché financier. Il sera bon à cet égard de comparer les progrès atteints avec les avancées que la taxonomie et autres actes réglementaires auront permis d’atteindre au sein de l’UE.

A ce stade, les SCS suscitent plusieurs questions : Seront-ils effectivement appliqués au sein du secteur financier ? La (seule) pression des clients sur les institutions financières sera-t-elle suffisante pour assurer leur adoption ? Ou seules des mesures plus fortes, réglementaires, seront-elles à même d'induire un effet incitatif climatique élevé, pour assurer l'alignement des investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris auquel la Suisse s’est engagée.

Rendez-vous est pris en 2023.

Les 5 + 1 indicateurs des Swiss Climate Scores

Les SCC comprennent cinq indicateurs obligatoires et un optionnel. Trois indicateurs ont trait à l’état actuel des portefeuilles (émissions de gaz à effet de serre ; exposition aux combustibles fossiles ; dialogue crédible avec les entreprises sur le climat). Deux indicateurs sont « tournés vers l’avenir » (engagements vérifiés en faveur du net zéro ; gestion en faveur du net zéro). L’analyse du potentiel de réchauffement global – soit l‘ampleur du réchauffement climatique si l'économie mondiale agissait avec la même ambition que les entreprises du portefeuille – reste, à ce stade du moins, facultatif.

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