Partager l'article
Article
Taxer les « potes » des potentats
23.02.2023, Financement du développement, Finances et fiscalité
La reconstruction de l'Ukraine exige des sommes importantes qui ne peuvent pas être prélevées sur le budget de la coopération internationale. Les attentes envers la Suisse sont énormes.
La semaine dernière, le Conseil fédéral a décidé qu'il n'y avait pas de base juridique pour confisquer les fonds bloqués des oligarques ou même de tous les Russes en Suisse. En effet, il est impossible de les confisquer sans violer les principes de l'État de droit et des droits humains, aussi peu sympathiques que soient leurs propriétaires. Même avec une interprétation innovante de la loi ou des changements législatifs, il faudrait examiner chaque cas d’espèce pour prouver la complicité dans la guerre. Et cela prendrait beaucoup trop de temps avec les possibilités de recours qu’offre la Suisse.
Les pays européens ont également du mal à respecter l'État de droit en cas de confiscation, raison pour laquelle les 300 milliards de dollars de réserves monétaires de la banque centrale russe, également bloqués, focalisent toujours plus l’attention. La Suisse ne doit en aucun cas se montrer réticente dans ce contexte ; selon le Secrétariat d'État aux questions financières internationales (SFI), jusqu'à 6 milliards de dollars se trouvent dans notre pays.
Mais la Suisse a encore une autre carte en main. Certes, les groupes helvétiques actifs dans le négoce de matières premières n'ont pas non plus de responsabilité directe dans la guerre, mais ils ont souvent des liens très étroits avec la Russie de Poutine. Selon des estimations, les trois quarts du pétrole russe ont été négociés via des entreprises suisses ces deux dernières décennies (les chiffres ne sont pas fiables dans ce secteur notoirement opaque).
Des profiteurs de guerre en Suisse
Les relations tissées étaient parfois carrément amicales. Deux exemples : l'un des deux fondateurs du négociant en matières premières genevois Gunvor était Guennadi Timtchenko. Il était ami avec Poutine, s'entraînait avec lui à Saint-Pétersbourg dans le même club de judo et possédait un labrador nommé Rommie, dont la mère était le chien de Poutine, Connie. Pendant des années, Gunvor a été le premier client de la compagnie pétrolière Rosneft, dont la majorité des parts est aux mains de l'État. Après la conquête de la Crimée, Timtchenko a été inscrit sur la liste des sanctions dressée par les États-Unis et Gunvor s'est séparée de lui.
Deuxième exemple : le directeur général de Glencore, Yvan Glasenberg, a reçu une médaille de Poutine en lien avec la participation de Glencore dans Rosneft. En 2017, Glencore a vendu 14,16 % de Rosneft pour 9,1 milliards de dollars, mais détient encore aujourd'hui une maigre participation. Via EN+, Glencore détient une participation dans Rusal et a pris, ou prend, une part importante de sa production d'aluminium. Rusal est majoritairement détenue par Oleg Deripaska, qui était considéré comme l'un des principaux soutiens de Vladimir Poutine. Et Glencore détient un quart de Norilsk Nickel de l'oligarque Vladimir Potanin. Le nickel est un métal stratégique pour l'industrie de l'armement. Et la liste des « potes » est loin d’être exhaustive.
Toutes les entreprises suisses de négoce de matières premières profitent de la guerre, peu importe qu'elles aient fait ou non des affaires directement avec la Russie. Leurs bénéfices record (triplés p. ex. pour Glencore) ne sont qu’une conséquence de la guerre et des perturbations qu'elle a provoquées sur les marchés des matières premières. Ce sont des bénéfices de guerre illégitimes. Un impôt sur les bénéfices excédentaires, comme l’ont introduit d’autres pays, apporterait les sommes nécessaires à la participation suisse à la reconstruction de l'Ukraine. Cela requiert une loi spéciale, mais c'est faisable et elle pourrait être sous toit à temps. Seule la volonté politique d'aider l'Ukraine est nécessaire. Sinon, la Suisse sera une fois de plus — et à juste titre — soumise à une forte pression internationale.